Brettanomyces : Les moyens de lutte curative

Brettanomyces : Mythes d’hier et Réalités d’aujourd’hui

Les moyens de lutte curative

 Cette saga est découpée en 6 articles
Lire l’introduction, l’Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins, Quels sont les facteurs et les pratiques qui influencent le développement de Brettanomyces dans les vins ? et Moyens de lutte préventive contre Brettanomyces

 

Brettanomyces est une levure connue depuis bien longtemps mais qui fait couler beaucoup d’encre depuis peu. Dernier sujet à la mode, les polémiques, mythes, solutions miracles sont désormais légions et contribuent à compliquer énormément un problème sérieux mais pour autant pas si complexe que certains voudraient le laisser croire… L’abondance d’informations de qualité variable sur ce sujet a plutôt nuit à la gestion et à la solution de la problématique Brettanomyces dans les vins rouges. Cet article a pour objectif principal de faire le point sur les éléments clés susceptibles d’influencer significativement le développement de microorganisme dans les vins et de dégager les outils pratiques et efficaces pour le contrôle de son développement.

Les traitements physiques

Le traitement thermique du vin, encore appelé « flash-pasteurisation », est une technique efficace pour la destruction de tous les types de micro-organismes. Les conditions de traitement doivent être adaptées aux caractéristiques de résistance de chacun. Les caractéristiques de destruction thermique de Brettanomyces sont connues et dépendent des conditions du milieu19. Le temps de réduction décimal (DT) est de 0,3 à 0,4 min à 55° quel que soit l’état physiologique de la cellule ; le facteur Z, qui permet de réduire le DT par 10, est de 5°C. Ces paramètres peuvent aussi être appliqués à la désinfection thermique des barriques. Une fois traité, le vin peut se contaminer à nouveau facilement. En outre, le chauffage du vin pendant quelques secondes suivit de son refroidissement, doit être réalisé parfaitement à l’abri de l’air pour ne causer aucune oxydation préjudiciable. Ce procédé est intéressant pour bloquer un développement fulgurant sur des vins jeunes, éventuellement sucrés et difficiles à filtrer.

La filtration est une technique classique d’élimination des micro-organismes. La qualité de son résultat dépend de la porosité du media filtrant qui doit être adapté aux micro-organismes ciblés. Dans le cas de Brettanomyces, a fortiori si on s’adresse à des vins en fin d’élevage, les cellules sont de petite taille et imposent une filtration avec un seuil de coupure inférieur à 1 µm (et idéalement inférieur à 0,65 µm) si on veut garantir une élimination totale. Il est ridicule de penser que la filtration puisse affecter négativement la qualité du vin si cette dernière est bien conduite et bien préparée. Si la filtration à ce niveau de porosité affectait sérieusement la qualité, c’est que cette qualité reposait, compte tenu de leur taille, sur des éléments bien peu stables… En fait, c’est le colmatage qui est préjudiciable à la qualité, c’est à dire la filtration en surpression sur un medium peu poreux, qui lui peut éliminer des éléments positifs pour la qualité organoleptique. Pour éviter d’affecter négativement la qualité des vins lors de leur filtration, il est souvent indispensable de procéder par étages de filtration successifs (3 puis 1µm), de préfiltrer, ou de prétraiter enzymatiquement pour éviter de colmater le medium stérilisant et de décharner les vins 20,21. La prise en compte unique de la turbidité ne renseigne pas vraiment sur la filtrabilité d’un vin. La détermination de l’indice de colmatage22 peut aider à adapter la stratégie de préparation du vin[1]. Ainsi, la filtration est particulièrement recommandée avant la mise en bouteille lorsque le vin présente un certain profil de risque ou qu’une population de Brettanomyces a été détectée lors du contrôle avant tirage (voir ci-après).

D’autres traitements physiques ont été envisagés et testés. La stérilisation UV (UV-A germicide) n’est pas vraiment adaptée au traitement des vins rouges en raison de la forte absorption du rayonnement ultra-violet par les polyphénols en présence et de la photo-induction de radicaux oxydants. Le traitement haute-pression (destruction des cellules au-delà de 200 MPa) est certainement efficace mais extrêmement coûteux sans offrir de débits suffisants (traitement discontinu). Le traitement par électro-poration (perforation des membranes cellulaires sous l’effet d’une différence de potentiel appliquée dans une cellule de traitement en continu) possède également une certaine efficacité23, mais là encore le peu d’équipement disponible, les débits de traitement et le risque d’échauffement limitent considérablement à mon sens l’intérêt pratique de cette technologie pour le moment.

Utilisation du Chitosane

Le chitosane est un polymère naturel de N-acétylglucosamine, dérivé de la chitine déacétylé chimiquement ou enzymatiquement. La chitine se rencontre notamment dans les carapaces des crustacés, des céphalopodes, des insectes et dans la paroi des champignons filamenteux. Le traitement de la chitine produit le chitosane. Ce polymère doit posséder un degré de dé-acétylation bien particulier pour être efficace vis-à-vis de Brettanomyces/Dekkera ; le degré de déacétylation influence également la solubilité et la viscosité de la suspension du chitosane. Actuellement, seul le chitosane d’origine fongique, qui peut s’accompagner de plus ou moins de b-glucane, est curieusement autorisé en œnologie…

La source principale de chitosane dans le monde, à savoir la source animale, beaucoup plus abondante et moins couteuse, ne fait pas pour le moment l’objet d’autorisation et se trouve donc interdit. Il est probable que le potentiel allergénique des crustacés face à celui des champignons soit la motivation de sa « non autorisation ». Cependant, le chitosane de crustacés/céphalopodes est par ailleurs largement employé dans l’industrie agro-alimentaire et la pharmacie sans aucune restriction et manifestement aucune allergie…Il est donc souhaitable de mon point de vue que des sources animales alternatives soient aussi rapidement autorisées pour permettre d’abaisser le coût d’utilisation aujourd’hui assez « prohibitif » pour ne pas dire malhonnête.

Le mode d’action exact du chitosane demeure inconnu. On sait que ce polymère cationique se lie aux parois des levures Brettanomyces/Dekkera de manière relativement spécifique et provoque une altération de l’intégrité de la membrane ; Saccharomyces sp. présent simultanément n’est pas affecté24 ce qui permet d’envisager l’utilisation de ce produit en cours de vinification, en cas d’arrêt de fermentation, moins facilement en cas de retard à l’achèvement de la malolactique car le chitosane réagit aussi avec certaines bactéries lactiqucessairees (mais il peut être utilisé pour lutter sans SO2 contre ces bactéries en cours d’élevage si n…). Au cours de l’élevage, le chitosane à la dose de 4 à 6 g/hl permet de détruire en quelques jours des populations importantes de Brettanomyces et très utilement les souches triploïdes plus résistante au dioxyde de soufre ; les cellules détruites ne peuvent plus former d’éthyl-phénols. Cependant, compte tenu du caractère insoluble du chitosane actif vis-à-vis de Brettanomyces son efficacité est souvent plus efficace et la durée de protection plus longue dans les grands contenants que dans les petits. Sa sédimentation plus rapide dans les barriques peut obliger une remise en suspension régulière (bâtonnage) pour maintenir son activité et sa tendance à provoquer une légère désacidification du vin, peuvent compliquer son utilisation dans certains cas.

Utilisation du diméthyl-dicarbonate (DMDC)

A part le dioxyde de soufre, le seul antiseptique chimique utilisable dans le vin est le diméthyl-dicarbonate. Ce produit (Velcorin™) s’hydrolyse rapidement dans le vin et ne présente donc un intérêt que pour la « stérilisation à froid » en remplaçant la filtration ou le traitement thermique avant l’embouteillage. L’un des produits d’hydrolyse, le méthanol, limite la dose maximum utilisable pour ne pas dépasser la concentration maximale autorisée dans les vins rouges (300 mg/l), cette teneur limite d’ailleurs a été spécialement élevée pour que ce produit puisse être valablement utilisé….Il faut utiliser au minimum 250 mg/l (représentant une libération de plus de 110 mg/l de méthanol ce qui a motivé comme par hasard l’OIV a élever la dose limite maximale admissible….) pour garantir une bonne efficacité vis-à-vis de Brettanomyces/Dekkera. Il faut aussi rappeler que, pour le moment, l’utilisation du DMDC est limitée aux vins contenant plus de 5 g/l de sucres résiduels…mais surtout que ce produit fait l’objet d’une distribution monopolisée qui maintient un coût d’utilisation exagérément élevé (et une technique d’emploi par pompe doseuse en ligne à l’embouteillage injustifiée) au regard du prix de revient du produit par lui-même. Son utilisation est donc limitée au moment de l’embouteillage, mais cette technique donne d’excellents résultats à long terme en supprimant la nécessité de filtration stérile des vins les plus délicats à gérer tout en réduisant notablement l’utilisation du dioxyde de soufre. Il est dommage que la mainmise sur cette solution empêche finalement sa plus large utilisation et nous condamne à utiliser des moyens finalement plus agressifs vis-à-vis des vins.

Utilisation d’antibiotiques

L’utilisation de principes antibiotiques est interdite en œnologie. La Natamycine ou Pimaricine, toxine anti-levures produite naturellement par certaines bactéries du genre Streptomyces, est pourtant un adjuvant (E235) utilisé largement dans l’industrie agroalimentaire (il est vrai seulement pour le traitement externe de certains fromages et de la charcuterie sèche…). Malgré son efficacité, son utilisation est totalement proscrite dans le vin. Une crise importante est intervenue récemment en Amérique du sud (en particulier en Argentine) en raison de l’utilisation « incontrôlée » de ce produit…

L’utilisation de toxines Killer produites par certaines souches de levures appartenant (plus ou moins) à la microflore du vin (Kluyveromyces wickerhamii, Pichia anomala)25 a révélé en laboratoire une certaine efficacité vis-à-vis de Brettanomyces/Dekkera. D’autres peptides (dérivés de lactoferrine bovine) ont également montré aussi une toxicité vis-à-vis de ces mêmes microorganismes  mais avec des efficacités variables selon les souches26. Ces solutions représentent donc des pistes de lutte biologique intéressantes mais peut être seulement dans un certain futur.

 

18 CHATONNET P. 2010 Nettoyage et désinfection appliquées aux contenants vinaires en bois destinés à la vinification et à l’élevage : partie 2/3 : Nécessités, principes et méthodes de désinfection du bois au contact du vin Revue des Œnologues, N° 137, 38-43

19 COUTO J.A, NEVES F., CAMPO F., HOGG T 2005 Thermal inactivation of the wine spoilage yeasts Dekkera/Brettanomyces Int. J. Food Microbiol., 10, 3, 337-344

20 ROMAT H. 2007 Coefficient de colmatage Partie ½ Une nouvelle approche de la filtrabilité des vins. Revue des Oenologues, 123, 31-33

21 ROMAT H. 2007 Proposition de critères de filtration en fonction du coefficient de colmatage. Revue des Œnologues, 124, 36-38

22 ROMAT H. 2011 Notions de rhéologie en œnologie. Application à l’influence de la température sur la viscosité et ses conséquences sur quelques pratiques œnologiques et sur la filtrabilité du vin. Revue des Œnologues, 138, 15-17

23 PUERTOLAS E., CONDON S., RASO J. ALVAREZ I. 2009 Pulsed electric field inactivation of wine spoilage yeasts and bacteria Int. J. Food Microbiol., 1301, 49-55

24 GOMEZ L., ESCUDERO I., AGUILAR M., HAYWARD P., MENDOZA P., RAMIREZ M. 2004 Selective antimicrobial action of chitosan gain spoilage yeasts in mixed culture fermentations J. Ind. Microbiol. Biotechnol., 31, 16-22

25 COMINTINI F., INGENIIS J., PEPE L., MANNAZZU I., CIANI M. 2004 Pichia anomala and Kluyveromyces wickerhamii killer toxins as new tool against Dekkera/Brettanomyces spoilage yeasts FEMS Microbiol. Letters, 238, 235-240

26 ENRIQUE M. MARCOS F., MARTINEZ M. VALLES S., PLANZMES P. 2009 Inhibition of the wine spoilage microorganism Dekkera/Brettanomyes by bovine-lactoferrin derived peptides. Int. J. Food Microbiol., 127, 3, 229-234

27 BARBIN P. 2006 Contrôle et éléments de maîtrise de l contamination par la levure Brettanomyces au cours du processus de vinification en rouge. Thèse INSTITUT National Polytechnique de Toulouse

28 CHATONNET P., FLEURY A. 2008 Nouvelles méthodes et nouvelles application du contrôle microbiologique en quasi temps réel par utilisation de la technologie Excell Gen®. Revue des Œnologues, 129, 23-27.

 

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