Entre savoirs et connaissances
Que ce soit un chercheur enquêtant sur la biodynamie ou un agriculteur voulant en découvrir les fondements, le néophyte dispose de plusieurs sources écrites pour essayer de comprendre et/ou mettre en œuvre ses principes.
En premier lieu, ce néophyte devrait se référer logiquement au texte qui en pose les principes. La lecture de ce texte fondateur et référence incontournable de la biodynamie tend à dérouter un lecteur qui ne serait pas initié aux principes de l’anthroposophie. L’anthroposophie est un courant philosophico-spirituel qui sous-tend la biodynamie et dont Steiner est également l’initiateur. On y trouve d’abord de nombreuses références à des savoirs que l’on pourrait qualifier de paysans au sens où ils semblent renvoyer à une tradition et à une sagesse supposées propres à cet univers et liées à l’expérience directe de la terre. Exprimés dans les dictons ou les almanachs, ces savoirs, par exemple ceux qui concernent la prise en compte des cycles lunaires, sont revalorisés par Steiner pour leur pertinence et leur rapport direct à l’expérience de la nature, là où la science les renvoie souvent dans la sphère des superstitions…
On parle toujours ici beaucoup de savoirs, mais quid des connaissances ?
On fait souvent l’amalgame entre ces deux notions, mais il existe en fait une certaine différence. Le terme français « connaissance » vient du vieux français « conoistre » qui date du XIe siècle. Ce dernier dérive du latin cognescere et noscere qui veulent dire à la fois apprendre, connaître et savoir.
Savoir dérive du latin sapere et sapio qui signifie avoir du goût, de l’intelligence, de la prudence. Dans le langage courant, connaissance et savoir sont plus ou moins synonymes. Pourtant, il est intéressant de distinguer le processus actif de production de la « connaissance », de son résultat, le « savoir » ou « savoir acquis ». Il s’agit de faire jouer la différence entre l’action et son résultat, ce qui revient à dire que la mise en acte d’une connaissance produit du savoir t pas le contraire !
La connaissance est un rapport actif au monde qui vise à s’en faire une représentation et à l’expliquer. Cette activité associe généralement l’action et la réflexion. Il existe divers types de connaissances plus ou moins efficaces, fiables et réalistes.
Le savoir acquis est le corpus des notions admises et transmises, l’ensemble organisé d’informations dans un domaine donné. Une partie du savoir acquis représente le monde d’une certaine manière et peut être utilisé à des fins pratiques. Il demande seulement à être appris et il se cumule au fil des générations constituant ainsi la culture.
La qualité des savoirs dépend du processus de connaissance utilisé pour les produire. On peut distinguer le savoir issu de la réflexion philosophique, le savoir issu de la pratique scientifique, le savoir issu de la croyance religieuse, des savoir-faire pratiques, etc… La qualité des savoirs est variable et dépend du type de procédé (du type de connaissance) qui a été utilisé pour le constituer. La valeur du savoir dépend de la qualité épistémique du processus qui l’a engendré.
Deux savoirs concurrents sur la même chose ne sont pas nécessairement différenciables de prime abord. Par exemple, deux savoirs sur le monde, l’un affirmant que la Terre est au centre de l’Univers, et l’autre qu’elle tourne autour du Soleil, ne sont différenciables que si l’on connaît le processus qui les a produit. Le géocentrisme est un savoir issu de l’observation ordinaire et de la tradition religieuse ; l’héliocentrisme demande des calculs mathématiques à partir d’observations astronomiques.
Le contenu du savoir comme sa qualité dépendent du mode de connaissance qui a servi à le produire. Les procédés théorico-empiriques valides produisent des savoirs vrais, adéquats au monde, ceux qui ne le sont pas, des savoirs faux ou incertains.
L’agriculture conventionnelle se targue de pure science et donc de pure connaissance pour justifier son vade mecum. A l’opposé l’approche biodynamique revendique essentiellement des savoirs et peu de connaissances. Ce qui est perturbant en fait pour un esprit globalement Cartésien comme le mien est de s’arrêter à cet état de fait ou de s’en remettre, à défaut, à des explications le plus souvent totalement fumeuses…
Tout d’abord, le fait de ne pas pouvoir expliquer ou de ne pas comprendre n’implique absolument pas la caducité de l’hypothèse. Ensuite, je suis convaincu que l’essentiel des pratiques et revendications d’efficacité de la biodynamie peuvent en fait être expliquées de manière parfois très claire, simplement en se remettant simplement aux connaissances (scientifiques donc) plutôt qu’aux « êtres élémentaux » ou à la cosmologie distante….Pour le reste, peut-être ne détenons nous pas encore les connaissances nécessaires pour l’interprétation, ou peut-être n’existe-il pas d’explication car il n’y a aucune action…
Nous verrons qu’à travers de nombreux exemples, les « revendications » de la biodynamie peuvent être vérifiées, voire même expliquées, par la connaissance scientifique ; quelquefois pour justifier la vision biodynamiste d’autres fois pas. Dans d’autres cas, des hypothèses peuvent être formulées pour réconcilier l’approche pragmatique et scientifique avec l’intuition de la biodynamie. Enfin, dans d’autres cas, l’écart demeure trop important pour que l’approche syncrétique puisse aboutir à un consensus constructif : désaccord ou incompréhension demeureront.