Pour une approche moins hermétique de la Biodynamie
Découlant des théories de Rudolf Steiner, la biodynamie peut être vue comme un avatar agronomique de l’anthroposophie. Un article sur Wikipédia détaille plusieurs critiques pointant le fait que la démarche anthroposophique est fondée sur la seule « intuition » de son fondateur. S’opposant à la rationalité scientifique, celui-ci s’évite systématiquement dans ses œuvres d’avoir à prouver ses affirmations qui se résument donc à des certitudes auxquelles on n’adhère que par la foi.
Une grande partie des affirmations vérifiables de Steiner ont depuis été balayées par les progrès de la biologie (qu’il s’agisse des propriétés des produits utilisés ou de l’influence des constellations), l’ensemble de son système de pensée s’en trouve très fragilisé. Rudolf Steiner n’avait strictement aucune formation agricole, ni même de réel contact avec le monde paysan, et n’a jamais ni cherché à argumenter ses affirmations sur le sujet, ni surtout à vérifier l’efficacité pratique de ses recommandations (il est mort l’année suivant la publication de son unique ouvrage sur le sujet).
Michel Onfray voit dans l’anthroposophie une dérive ésotérique du vitalisme, courant philosophique dont il se réclame lui-même. Il critique notamment l’agriculture biodynamique dans son livre « Cosmos: une ontologie matérialiste », arguant que l’utilisation des crânes d’animaux pour la culture vinicole au titre de supposées influences dans le goût du vin obtenu n’avait aucun effet sensible et ne constituait qu’une superstition sans fondement gustatif. Il ajoute que cette supercherie en apparence anodine est préoccupante quand elle sert de cheval de Troie à des idéologies « Steineriennes » plus graves…
Dans son ouvrage « Bacchus et moi », l’écrivain américain Jay McInerney cite Stuart Smith, qui tient le blog Biodynamics is a Hoax (« La biodynamie est un canular »), qui a écrit que « la biodynamie est une imposture et mérite le même niveau de respect que celui que nous accordons à la sorcellerie », ou encore, à propos de Rudolf Steiner: « Rudolf Steiner était complètement cinglé. C’était un charlatan doué d’une formidable imagination, une sorte de Timothy Leary défoncé au LSD avec le talent de P.T. Barnum pour le show-business»
Le journaliste Jean-Baptiste Malet considère que la biodynamie se distingue notamment de l’agriculture biologique parce qu’elle n’englobe pas seulement des techniques agricoles, mais aussi des rituels de nature mystique : « Le paysan qui accepte de se plier au cahier des charges de Demeter, la marque de certification des produits agricoles cultivés en biodynamie, ne se borne pas à produire des fruits ou des légumes biologiques — cette sorte de druidisme lui impose de manipuler des cornes remplies de bouse et des vessies de cerf et de respecter un calendrier cosmique. Comme pour des viandes halal ou kasher, les vins et carottes biodynamiques signalent qu’ils respectent une codification rituelle. »
Mais finalement, tout cela importe-t-il vraiment ? A chacun ses rituels. Ce qui compte vraiment devrait impacter favorablement et se lire dans le vin In vino veritas, peu importe le flacon si on a l’ivresse.
Il ne faut pas oublier que la production de vin s’inscrit en principe dans le long terme. Cela implique donc une certaine performance à reproduire. Or, si le caractère fumeux d’un discours peut être entretenu ad vitam, son application en pratique ne peut être valablement maintenue si longtemps que si quantité et qualité sont au rendez-vous, du viticulteur d’abord et du consommateur ensuite.
Les vins biodynamiques sont-ils plus mauvais ou bien meilleurs que ceux issus de l’agriculture biologique ou conventionnelle ? C’est un débat que nous engagerons peut être plus tard mais qui n’a que peu d’intérêt vu la subjectivité de la notion de qualité.
Les quantités de vin produites sont-elles plus faibles égales ou plus grandes que celles des autres systèmes. Les opinions et les faits divergent ici de manière fulgurante. En effet, selon le milieu, la vigne sera très différemment exposée à des parasites capables au mieux d’hypothéquer et au pire de détruire ses fruits ; il existe donc évidemment des régions où adopter les principes de l’agriculture biologique ou biodynamique est plus facile qu’ailleurs. On comprend facilement que les climats secs et ventilés par exemple seront nettement moins sensibles au développement des maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium en particulier) et que, dans ces conditions particulières, le recours à des moyens de lutte biologiques, moins agressifs, peu ou pas rémanents, inspirés et dynamisés, seront plus ou moins largement suffisants pour protéger la vigne.
L’emploi de préparations, avec la prise en considération de l’influence supposée des rythmes lunaires et planétaires, différencie principalement l’agriculture biodynamique de l’agriculture biologique. Cependant, ce système de production n’a pas démontré, quoi qu’on en pense, plus d’efficacité que l’agriculture biologique classique.
Les deux approches se distinguent par les dimensions ésotériques de l’agriculture biodynamique, mais l’efficacité supérieure revendiquée par la biodynamie relève surtout de la « pensée magique », une forme de pensée qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle. Rappelons que ce type de pensée se manifeste généralement au cours de l’enfance, à l’âge adulte elle est appréhendée par la médecine comme un symptôme d’immaturité ou de déséquilibre psychologique… c’est vrai que parfois les biodynamistes poussent le champignon un peu loin.
Néanmoins, l’utilisation de tisanes, d’huiles essentielles et de certains minéraux (silice de quartz) pour mettre à profit leurs propriétés « médicinales » et « vitalisantes », s’avère être un moyen intéressant pour diminuer les doses de cuivre appliquées au vignoble. L’accumulation du cuivre dans les sols est un sujet à prendre en considération à long terme et nous en débattrons spécifiquement. Immédiatement, ce métal fait l’objet d’une régulation de plus en plus drastique (dose limitée à 4 kg/ha/an lissée sur 7 ans et 3 k/ha/an sous Demeter) et toutes les solutions pour réduire son utilisation et améliorer son efficacité sont donc les bienvenues.
Améliorer les défenses naturelles de la plante est un des leitmotivs de la biodynamie. Les pulvérisations de tisanes de prêle et les préparations à base d’huile essentielle de lavandin ou d’orange permettent de lutter contre le mildiou en les associant à des doses de cuivre divisées par deux ou trois. L’emploi de la silice de corne (501), outre le fait qu’elle aurait un effet sur l’organisation foliaire, renforcerait également les défenses immunitaires de la plante, notamment contre les maladies cryptogamiques. L’explication « ésotérique » est que, d’une manière générale, la conduite en biodynamie tend à équilibrer naturellement la plante et la « rend plus réceptive aux planètes suprasolaires »…
Au-delà des controverses, des essais alsaciens récents permettent de comparer scientifiquement les impacts biologiques des pratiques conventionnelles et biodynamiques. Ainsi « Les défenses naturelles sont plus élevées dans les vignes conduites en biodynamie, quel que soit le climat et la pression de pathogène » déclare Jean Masson, directeur de recherches à l’Institut National de la Recherche Agronomique de Colmar. Celui-ci tire cette conclusion des résultats de suivi des teneurs en métabolites secondaires et des expressions de gènes d’immunité sur quatorze parcelles de pinot noir de 2014 à 2017, pour 30 hectares de vignes, plantées sur SO4 et conduites par huit vignerons en conventionnel et trois producteurs en biodynamie. Publiée dans la revue Scientific Reports. Pour cet essai (sans vigneron bio), tous les viticulteurs suivis traitent au soufre et au cuivre, les conventionnels ajoutant des fongicides de synthèse, quand ceux en biodynamie déploient des préparations organiques et minérales. Comme on pouvait s’y attendre, la charge en mildiou et oïdium des vignes suivies était plus forte pour celles en biodynamie que celles en conventionnel (respectivement 51 % et 22 % de plantes infectées en moyenne de 2014 à 2017). Mais « dans tous les cas, aucune des feuilles collectées ne montre de symptômes visibles, comme une surface poudreuse ou de taches d’huile. Les deux systèmes parviennent à stopper l’infection » souligne l’étude, qui repose sur une détection moléculaire précoce du mildiou et de l’oïdium (l’étude des gènes de défense et des métabolites secondaires permettant de capter la réponse des vignes aux maladies deux à trois semaines avant l’expression de symptôme).
Si les feuilles sont indemnes, elles n’ont pas les mêmes aspects selon les modes de culture. Les vignerons en conventionnel n’hésitant pas à se moquer des teints jaunâtres et maladifs du feuillage en biodynamie. Ayant analysé la composition des feuilles de 2015 à 2017, les scientifiques notent que les taux de chlorophylle sont plus élevées sur les vignes conventionnelles (témoignant d’une meilleure activité photosynthétique), tandis que les concentrations en anthocyanes et flavonols sont plus importantes en biodynamie (marquant une réponse au stress, qu’il soit climatique ou/et fongique). Ces données sont confirmées par des mesures de l’expression des gènes des défenses, qui est deux fois supérieure pour les vignes en biodynamie sur la période 2014-2016. « Tout particulièrement lors de stress liés au dérèglement climatique » précise Jean Masson. Et arriver à la conclusion que les défenses naturelles de la vigne sont plus élevées en biodynamie. « Il n’y a par contre pas d’éléments permettant de trancher sur les causes. Pour savoir si la biodynamie a un effet positif ou si c’est le conventionnel qui a un effet négatif ».
En effet, on ne peut pas encore conclure sur l’origine de la stimulation de la réponse de la vigne ; elle pourrait être due simplement à un stress permanent et tout simplement plus intense en biodynamie, situation induisant naturellement une synthèse plus importante de facteurs de résistance aux maladies…
Tout m’incite ici à penser que, dans ses couches les plus profondes au moins, la biodynamie, au même titre que d’autres objets limites comme la sorcellerie le chamanisme, les OVNI, les apparitions de la vierge ou encore le magnétisme animal, renvoie à une altérité si radicale dans les manières de connaître et composer le monde qu’il oblige à adopter un regard réflexif sur les conditions mêmes de production de la science. Avec Steiner, Au-delà de ce mélange de savoirs et de cette dominante ésotérique, on est également frappé par l’absence de référence quant à l’origine de ces différents savoirs. Si on peut à travers des lectures complémentaires retrouver les différentes influences intellectuelles de Steiner dans la composition du Cours aux agriculteurs, les savoirs dont il est fait état semblent comme révélés par un accès direct à des niveaux de réalité imperceptibles par les non-initiés. Les phénomènes décrits semblent avoir été « vus », selon une aptitude à « clair voir » qui consiste à accéder directement à des réalités « spirituelles ». Même si la tentation d’opposer la vision ésotérique à une vision scientifique est réelle, c’est selon Jean Foyer dans « Syncrétisme des savoirs dans la viticulture biodynamique » (https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2018-2-page-289.htm#), emprunter un raccourci trop facile. En effet, pour Steiner, l’accès à ces niveaux de réalités spirituelles peut, et même doit, se faire de manière scientifique, c’est-à-dire, dans ses termes, de manière méthodique et pratique. Il en appelle donc à une science non réductionniste, non matérialiste et, d’une certaine manière, métaphysique mais qui doit avoir à la fois des applications très concrètes et être vérifiée par l’expérience.
La critique de la science dans le Cours aux agriculteurs est donc récurrente et profonde, mais elle porte essentiellement sur des éléments spécifiques du cadre scientifique, le réductionnisme le rapport trop éloigné à l’empirisme, mais surtout, le matérialisme. Elle ne saurait signifier un rejet en bloc chez Steiner qui revendique au contraire une certaine scientificité. Bien que de formation scientifique, Steiner est avant tout un philosophe qui confond trop fréquemment science et scientisme et c’est vraiment dommage car ainsi il s’engage trop souvent à mon goût dans la pseudoscience.
L’approche syncrétique parait effectivement intéressante pour, si non comprendre, au moins réconcilier les savoirs et les approches qui, au final, malgré l’ésotérisme d’un côté et le matérialisme de l’autre qui les opposent violemment, puisse permettre de dégager une nouvelle approche apaisée de l’hystérie, ma nouvelle approche, celle que je nommerai la Biosynergie.