Viticulture Bio et Naturalité des intrants
Officiellement, l’Agriculture Biologique interdit l’utilisation des produits chimiques de synthèse et privilégie la lutte biologique contre les nuisibles. Cependant, l’usage des pesticides naturels est autorisé en BIO lorsqu’il est justifié de la part de l’agriculteur, conformément à l’article 4 et à l’article 12 du règlement (CE) n° 834/2007, ainsi qu’à l’article 5 du règlement (CE) n° 889/2008. Autrement dit, l’emploi de pesticides (naturels) n’est pas autorisé de manière préventive (contrairement à l’agriculture conventionnelle), mais uniquement dans des cas où la culture est affectée par une maladie ou des ravageurs.
Ainsi, la viticulture BIO n’interdit pas l’utilisation de certains pesticides naturels comme le détaille le guide des produits de protection des cultures utilisables en France en agriculture biologique, révisé tous les trimestres (http://www.itab.asso.fr/activites/guide-intrants.php). Les principales substances actives utilisées en Agriculture Biologique pour le traitement des maladies et ravageurs sont donc naturelles : cuivre, soufre, huiles, champignons et bactéries, mais cela ne signifie pas qu’elles sont sans conséquences pour le milieu et le vivant, en fonction des dosages épandus et des conditions d’emploi. De plus, des dérogations, en plus des pesticides autorisés, peuvent être accordées pendant 120 jours maximum pour traiter les affections qui mettent en péril la culture…
L’insecticide Spinosad, autorisé en agriculture biologique depuis 2008, illustre les déviances de l’Agriculture Biologique. Le label bio en agriculture ne signifie pas une absence de risque par exemple sur la santé des abeilles ; cet insecticide certes biologique, détruit tous les insectes à sa portée. Même chose pour les extraits de Chrysanthème, le pyrèthre est un poison biologique. Même chose pour la Roténone et la Nicotine. A l’opposé, le Bacillus thuringiensis produit une toxine quasi spécifique des lépidoptères au stade larvaire et ne perturbe donc quasiment pas l’environnement du vignoble qui par ailleurs n’attire normalement pas ou peu les papillons hors parasites de la vigne.
Enfin, les cultures bio ne sont pas à l’abri de contaminations, accidentelles ou volontaires, ce qui conduit souvent les détracteurs du bio à dire « de toute façon tout est contaminé alors pourquoi payer plus cher ? » ce qui est en pratique parfaitement faux. Si des contaminations croisées sont parfois inévitables, quand les parcelles Bio sont imbriquées avec des parcelles conventionnelles ou parfois que les vents dominants transportent à distance un flux de pesticides non bio, il existe des effets de bords incontrôlables qui demeurent extrêmement rares. Les dosages de résidus de pesticides dans les vins Bio réalisés depuis plusieurs années confirment bien l’absence de concentrations notables de molécules organiques de synthèse dans ces produits ; leur présence est désormais une source de perte de certification.
Mais dans le domaine des pesticides, qu’est ce qui définit un produit naturel utilisable en Bio d’un autre ? Il doit être naturel ! Mais qu’est-ce qu’un produit naturel ? Plus ou moins, il doit provenir d’une source existant spontanément dans la nature. Très bien. Il existe effectivement des gisements naturels de soufre directement utilisables par exemple. Les préparations diverses issues de plantes sont obtenues par des procédés physiques d’extraction relativement simples et sont employées ensuite à l’état brut. Parfait. Mais quid par exemple du sulfate (ou des autres sels) de cuivre largement employés en viticulture bio et biodynamique ? Il existe effectivement des mines d’où l’on extrait du minerai de cuivre. Cependant, à la sortie de la mine, nous sommes encore loin de pouvoir utiliser le produit extrait des entrailles de la terre sur nos cultures…
A l’époque de l’Age de cuivre, l’Homo Sapiens n’eut pas besoin d’en extraire : il se trouvait à une densité de 90% quasiment en surface. Il n’eut, en quelque sorte, qu’à se baisser pour le modeler. Aujourd’hui, la teneur en cuivre des mines n’est plus que de 1% ou beaucoup moins. Ce métal se présente sous deux formes : le sulfure de cuivre et l’oxyde de cuivre. La différence ? Le cuivre est un élément chimique du magma. Il remonte depuis le centre de la terre jusqu’à la surface de la croûte terrestre par des failles. A mi-parcours et contrairement au phénomène du volcan, celui-ci se refroidit. La couche de cuivre au contact de l’air s’oxyde, devenant de l’oxyde de cuivre. La couche en-dessous, non-oxydée, est du sulfure de cuivre. Sauf qu’à force d’avoir extrait l’oxyde de cuivre en surface, il faut désormais aller chercher le sulfure de cuivre en profondeur.
Le sulfate de cuivre est obtenu ensuite industriellement comme sous-produit du décapage chimique du cuivre par l’acide sulfurique, procédé hautement polluant par les résidus d’acide lui-même et l’arsenic qu’il contient. Le sulfure de cuivre, lui, s’extrait par étapes successives, pour dissocier le cuivre des autres métaux contenus dans la roche afin d’obtenir un métal pur, la dernière étape par électrolyse. L’une des étapes intermédiaires n’est pas non plus très écolo : elle génère du dioxyde de soufre hautement polluant, qui peut être recyclé en acide sulfurique.
La dissolution par l’acide sulfurique n’attaquant pas le cuivre métallique, seule sa forme oxydée présente en surface sous forme d’oxydes, de carbonates (vert de gris) et autres, passe en solution. La solution bleue de décapage est ensuite cristallisée dans des bacs (en cuivre) dans lesquels plongent des barres (en cuivre également). Les cristaux de sulfate de cuivre hydraté se forment en quelques heures à la surface du récipient et des barres. La couche de cristaux peut atteindre plusieurs centimètres d’épaisseur (de 5 à 15 ou plus). Ces cristaux sont récupérés et broyés.
Des mines à ciel ouvert ou souterraines jusqu’au stade du cuivre pur, les processus industriels en jeu dans le cycle de production (séparation des composants minéraux par flottation, traitement du concentré par pyrométallurgie, raffinage par électrolyse) posent de lourds problèmes environnementaux. Sans parler de la consommation d’eau, ces procédés sont générateurs de déchets solides, liquides et gazeux, qui représentent une source considérable de pollution par les métaux lourds et les dérivés soufrés gazeux. Les impacts sur les sols, les ressources en eau et en définitive sur la santé humaine, sont donc très sérieux à l’échelle locale. Compte tenu de toutes les étapes nécessaires depuis l’extraction jusqu’au produit terminé, je serais curieux de connaître le bilan écologique de la Bouillie Bordelaise au final… Sans revenir sur les effets toxiques du cuivre sur la microfaune et flore du sol (lire Toxicité du Cuivre en viticulture : mythes et réalités sur le sujet), il est clair que tous les agriculteurs et en particulier les viticulteurs doivent chercher à réduire l’emploi de ce métal.
L’usage des préparats biologiques à base de plantes (prêle, osier, huiles essentielles) ou de minéraux (silice) sont utilisables en agriculture biologique ou biodynamique mais avec une efficacité très relative… Seules, ces préparations sont, disons-le clairement, totalement inefficaces si la pression de Mildiou est forte. Par contre, associées au cuivre, elles permettent d’en réduire la dose appliquée de 1/4 à 1/3 voire plus et procurent une protection suffisante sous réserve de traitements très fréquents. En effet, strictement de contact, ces produits disparaissent facilement sous la pluie. D’autres produits stimulateurs des défenses naturelles de la plante ont des effets comparables. Certains sont autorisés en Bio, mais tous sont sensibles au lessivage et condamnés à des pulvérisations fréquentes et aux conséquences induites de ces passages répétés (tassement du sol, coût, carburant…).
Une solution alternative, déjà abordée dans la description du principe de Biosynergie au sens large, serait d’utiliser une catégorie de stimulateur (potentialisateur) moins sensible au lessivage car pénétrant systémique : les sels de phosphonates.
Les phosphonates associés au cuivre permettent une protection efficace contre le mildiou sous réserve d’applications préventives parfaitement positionnées par rapport aux cycles successifs de sporulation du parasite. Par rapport au cuivre et aux préparats de plante ou autres, le phosphonate est systémique est donc moins sensible au lessivage. Il agit d’abord en stimulant la production des défenses naturelles de la plante pour bloquer ou réduire l’infection par le champignon du mildiou, mais il agit également, et ce d’autant plus qu’il est utilisé en association avec le cuivre, directement sur le Mildiou lui-même. La protection conférée sur feuille est excellente en réduisant les doses de cuivre par deux ou trois selon la pression de la maladie ; sur grappe la protection est moyenne mais le but de la stratégie cuivre + phosphonate est d’agir préventivement en maintenant un niveau de défenses naturelles suffisant pour ne pas avoir d’infection ni sur fleur, ni sur grappe ! Les phosphonates, à l‘inverse du cuivre sont biodégradables ; la toxicité des phosphonates et de leur produit de dégradation, l’acide phosphoreux, est extrêmement faible pour ne pas dire nulle. Ce produit n’affecte pas les insectes et les acariens utiles. La toxicité vis à vis de la faune aquatique est infiniment inférieure à celle du cuivre. L’acide phosphoreux ne migre pas significativement dans les sols ; la quantité de phosphore apportée est mineure, donc sans impact négatif sur les mycorhizes mais elle peut participer à la nutrition par voie foliaire.
Mais les Bio n’en veulent pas ! Les Bio Suisses et Allemands en redemandent pourtant. Mais rien à faire l’idéologie est plus forte. Les arguments sont les suivants : « Les pulvérisations de phosphonates entraînent systématiquement la présence de résidus (acide phosphoreux in fine) sur le raisin et dans le vin ce qui représente un énorme inconvénient. Ces résidus sont inférieurs aux LMR et ne sont pas toxiques pour le consommateur. Mais les consommateurs de produits Bio refusent la présence de résidus de pesticides. En outre, si ce type de produit était autorisé, il deviendrait difficile (pour ne pas dire impossible) de différencier les produits issus de la viticulture raisonnée de la biologique. Les sels de phosphonates ne peuvent donc pas être autorisés (https://abiodoc.docressources.fr/doc_num.php?explnum_id=2512). »
Mais si « l’énorme inconvénient » que représente la présence de résidus sans toxicité est responsable du rejet des phosphonates par la viticulture Bio, alors pourquoi l’insecticide à large spectre et à toxicité directe avérée Spinosab (http://alerte-environnement.fr/2018/05/18/spinosad-un-insecticide-bio-aux-effets-ravageurs/), également source systématique de résidus dans le vin, est-il autorisé ?
Pourquoi les Bio réclament-ils aussi par exemple la possibilité d’utiliser l’huile Neem (extrait du Margousier Azadirachta indica) dont le principe actif est l’azadirachtine. Cette molécule est certes naturelle mais elle représente un danger pour les abeilles et d’autres insectes auxiliaires, peut provoquer des lésions du foie et des poumons chez certains mammifères, fait l’objet d’une proposition de classement toxicologique en tant que substance toxique pour la reproduction de catégorie 2 (R2), à mettre en relation avec un potentiel de perturbation endocrinienne, ce qui justifie que les produits contenant l’azadirachtine soient utilisés avec précaution (http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-3647QE.htm).
Ensuite, ne pas pouvoir différencier les vins issus de la viticulture Bio ou raisonnée si ce produit était utilisable dans les deux cas n’est-il pas l’aveu finalement de l’absence de différence vraiment notable entre les deux modes de production ? Quid de l’avantage concurrentiel des Bio s’ils n’étaient pas différenciables des produits qualitatifs de l’agriculture raisonnée ? Il est clair que si les phosphonates étaient « autorisés en Bio », 95% des viticulteurs se convertiraient ipso facto… Mais est-ce bien ce que l’on recherche ? Mieux vaut continuer à jaser inutilement sur l’usage des pesticides en viticulture non bio ou biodynamique…
Les Bios ont réclamé de maintenir la limite d’usage du cuivre à 6 kg/ha/an alors que ces inconvénients sont bien connus mais soit disant acceptés parce qu’historiques (https://abiodoc.docressources.fr/doc_num.php?explnum_id=2512). Chercher l’erreur !
Reste l’argument de la « non naturalité » des phosphonates. Ces produits n’existeraient pas à l’état naturel, ou plutôt et c’est très différent, ne se sont pas déposés sous la forme de gisements miniers sur la planète. Pour autant, les phosphonates ont bien été identifiés dans l’environnement naturel et notamment chez de nombreux organismes biologiques où ces produits interviennent manifestement dans des mécanismes de défenses contre certains parasites (https://www.intechopen.com/online-first/phosphonates-their-natural-occurrence-and-physiological-role). Leur instabilité empêche leur accumulation en l’état ; leur emploi à l’échelle industrielle nécessite donc leur synthèse à partir de l’origine de roches phosphatées. Et alors ? En est-il différemment à propos des sels de cuivre ?
Tout ceci pour conclure finalement qu’il serait sans doute temps d’arrêter d’utiliser de mauvais arguments pour se différencier inutilement. Il serait de mon point de vue plus constructif pour l’environnement dans son ensemble et pour l’économie de notre secteur viticole en particulier, d’utiliser tous les moyens respectueux efficaces en combinaison synergique plutôt que d’accepter ou d’exclure a priori des solutions potentiellement ou à l’évidence, très utiles ou plutôt dangereuses, pour des raisons obscures ou infondées scientifiquement. Ni Bio, ni Biodynamique, devenons Biosynergique.
« Vous n’avez pas raison ou tort parce que d’autres sont d’accord avec vous. Vous avez raison parce que vos faits sont exacts et que votre raisonnement est juste. » – Warren Buffet